Enseigner : un métier à risque perçu comme un métier de fonctionnaire

Publié le 4 Mars 2016

 

Des propos brillants de simplicité et de vécu :

Agrégé de philosophie, Patrick Ghrenassia enseigne depuis une trentaine d’années à des futurs professeurs de la maternelle au lycée. Pour devenir un bon enseignant, il conseille de prendre des risques.

Patrick Ghrenassia

Patrick Ghrenassia

Vos débuts…

J’avais fait le choix d’enseigner à des instituteurs à l’Ecole normale. Cela faisait partie des voies royales pour faire sa thèse à côté des 15 heures de cours hebdomadaires. Mais je préparais mes cours au lieu de faire ma thèse. Je pensais faire des très bons cours d’agrégés et puis je me suis rendu compte qu’il fallait s’adapter aux besoins des instits. J’étais nullissime ! Je sortais de l’agrégation et je faisais à mes étudiants des leçons de l’agreg’, un truc incompréhensible, qui suscitait un mélange d’admiration et d’effroi de la part de mes élèves. C’est ce qu’on m’avait appris. M’adapter à mon public m’a demandé beaucoup de temps. J’étais très mauvais à l’oral à l’époque, très bloqué, très inhibé. Faire cours sans lire ses notes, regarder le public à qui l’on parle, et tout le B.A.-BA de la pédagogie, je l’ai appris par l’expérience.

Votre cote auprès des étudiants aujourd’hui…

Ce qui revient le plus souvent chez mes étudiants (Patrick Ghrenassia est aujourd’hui professeur formateur à l’ESPE de Paris rattaché à La Sorbonne) ce sont des remarques comme : « c’est marrant vous n’êtes pas comme les autres », « vous avez un regard critique sur les choses », « on peut parler de tout ». Je me donne effectivement une liberté de parole que j’estime légitime à l’université et avec un public enseignant dont on attend qu’il ait l’esprit critique. Il n’y a aucune obligation de présence en cours magistral à l’université et je remplis généralement l’amphi.

Votre truc pour captiver 200 étudiants…

Même devant un amphi plein, je ne monologue pas. Je pratique le cours dialogué. Je questionne régulièrement l’assemblée et le dialogue s’engage avec la salle. Cela m’est venu de ma pratique. Je trouve ça effrayant de parler seul pendant deux ou trois heures devant des adultes comme de rester assis trois heures à écouter quelqu’un. C’est plus vivant pour tout le monde.

Vos modèles de bons enseignants…

J’ai pu voir des professeurs admirables, mais j’ai appris davantage de mon questionnement personnel. Enseigner demande de s’adapter à sa personnalité, donc, pour trouver sa voie, il vaut mieux s’observer, s’enregistrer, que d’essayer de plaquer un modèle. Je connais un professeur de psychologie qui utilise beaucoup les vidéos. Il captive apparemment son amphi, mais je serai incapable de faire comme lui, car je ne me sentirais pas à l’aise. D’autres font rire leur public avec un ton décalé. Cela correspond à un type de personnalité, qui n’est pas le mien non plus. Il faut appliquer le « connaîs toi toi-même » (de Socrate, NDR), à la pédagogie.

Votre regard sur la formation des enseignants…

Au colloque sur le bilan de la formation des enseignants en juin 2015, mon intervention s’appelait « formation des enseignants : les illusions perdues ». Dans ce domaine, c’est toujours la question du rapport entre théorie et pratique dans la formation qui revient et n’est pas résolue. Déjà à l’époque des Ecoles normales, on disait que la formation était trop théorique. Aujourd’hui, on ne fera croire à personne qu’on fait de la formation professionnelle à 200 dans un amphi. On fait de la formation de masse pour préparer au concours. Et même si on a augmenté la part des stages dans la formation, la formation théorique déconnectée du terrain domine. Celle sur la laïcité par exemple, ne répond pas aux besoins pratiques…

Votre avis sur cette formation à la laïcité…

Ce qui a changé c’est le contexte, avec les attentats. Mais en Espé, il s’agit toujours de cours théoriques qui visent à préparer les étudiants aux concours, pas à faire cours ou à répondre à des situations concrètes dans les établissements. La formation est insuffisante et superficielle. Elle est uniforme, standard et ne correspond pas aux situations de terrain. Les problématiques ne sont pas les mêmes selon l’endroit où l’on se trouve. Il faut faire de la formation professionnelle différenciée. On n’arrête pas de dire qu’il faut différencier pour s’adapter aux besoins des élèves. Il faut s’adapter aux besoins des profs ! La laïcité, cela ne relève pas du module de trois heures, mais de la vie de classe. Les enseignants qui ont le mieux su réagir après les attentats sont ceux qui avaient une pratique de classe démocratique et travaillaient déjà sur le sens critique.

Votre vision des principaux défauts des enseignants débutants…

La gestion de classe est le point sensible. Certains sont en tête au concours et c’est la catastrophe dans leur classe. Comment réagir, poser sa voix, organiser la classe, gérer un enfant qui pète un câble : aucun concours ne permet de recruter là-dessus. Il faudrait soit changer le concours soit développer ce que j’ai expérimenté dans l’Oise ou à Paris, dans le cadre de la formation des enseignants : les ateliers de pratiques professionnelles (APP). Une dizaine d’étudiants teste des séquences de cours en classe, avec l’aide du professeur de la classe et un ou deux formateurs d’Espé, qui donnent des éclairages théoriques ou pédagogiques. C’est coûteux, en temps et en encadrement, mais c’est le seul dispositif qui donne satisfaction à tout le monde. A la fin d’un APP de 15 heures, je sais qui sera un bon prof ou pas.

Votre conception du bon prof…

D’abord, la passion, pour l’enseignement ou pour la matière. Si on a une passion, on la transmet. Ensuite, la capacité à s’adapter à l’auditoire. Il faut avoir un flair animal de l’auditoire, être à l’affût du regard fuyant, capable de réagir, d’arrêter un cours, de revenir sur un point. Si on n’a pas ça, on fait des Moocs ! Et puis, les bons profs sont des gens bosseurs, qui ont envie de faire ce métier et ont du punch. C’est un métier à risque. Le grand malentendu vient de là. Socialement, c’est un métier de ‘fonctionnaire’, or le cœur du métier c’est le risque. On a beau préparer des heures et des heures, rien ne se passe jamais comme prévu.

Rédigé par hl_66

Publié dans #Réflexion

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