Ce sentiment qui ne me quitte plus depuis que je suis mère

Publié le 20 Mars 2018

 

 

Ma gynéco m’avait prévenue: "A partir de maintenant, vous ne cesserez plus jamais de vous inquiéter". Elle avait tellement raison.

Tu n'as jamais été un petit garçon sauvage. Il y a un an, je m'interrogeais d'ailleurs sur ton bien-être et, je l'admets, ta santé mentale. Je suis énervée, causante, agitée et j'étais complètement désemparée face à ta tranquillité. La génétique a parlé: tu tenais ça de ton père. Cette formidable façon de profiter de la vie, de ne se tracasser que des choses importantes, de regarder les jours s'écouler sans jamais s'ennuyer. Je me demandais si je devais te pousser dans le dos, t'accompagner, te forcer à aller jouer avec ces deux petites filles assises au milieu des confettis argentés que tu regardais de loin, intéressé mais pas vraiment concerné. Je n'ai rien fait mais dans l'obscurité, j'ai demandé tout bas à ton père si "tout allait bien". Il m'a prise pour une folle.

 

Je comprends pourquoi: douze mois plus tard, ta personnalité s'affine et si tu restes un grand sensible, tu peux avoir des moments de totale excitation. Comme tous les petits garçons de deux ans, tu râles, tu bouscules, tu t'enfuis quand je t'appelle, tu te jettes dans mes jambes avec brutalité pour me crier ton amour, tu t'élances dans le toboggan totalement inconscient d'une chute possible. Je me suis inquiétée pour rien. Tu es habité d'un calme que je ne connais pas mais tu es tout à fait dans la norme, si ça veut dire quelque chose. Enceinte, alors que je l'assommais de questions, ma gynéco m'avait prévenue: "A partir de maintenant, vous ne cesserez plus jamais de vous inquiéter". Elle avait tellement raison.

 

Je ne me suis étrangement jamais inquiétée des choses de la vie quotidienne. Je ne fais pas une fixette sur l'hygiène (ni plus ni moins qu'avant ta naissance en tout cas), je n'ai jamais eu besoin de babyphone et je ne cours jamais chez le pédiatre sans réelle raison. Au niveau pratique, tout m'a toujours semblé couler de source. Moi, je m'inquiète des choses que je ne peux pas maitriser.

J'ai peur que ta sensibilité soit mise à l'épreuve dans la cour de récrée. Que ta gentillesse ne te permette pas de t'affirmer, que tu sois poussé en permanence dans tes derniers retranchements par des caïds en culottes courtes. Je te vois te faire pousser sans ménagement à la plaine de jeux et tu sembles toujours surpris par tant de méchanceté gratuite. Et on s'étonne que je panique pour la suite quand on sait de quoi le monde est fait: de jugements hâtifs, violents, sans nuance.

Je n'ai pas peur des rhumes, de la grippe, de la varicelle. Mes peurs s'attaquent à plus grand. À la maladie insidieuse qui s'installe en silence dans le corps des gens et les met directement à genoux quand elle se déclare. J'ai peur de cette seconde où tout bascule, où une bêtise qui provoque un éclat de rire se transforme en horreur pure. Je pense à cette maman en Australie qui a vu son enfant s'étouffer sous ses yeux avec une balle magique à l'effigie de ses petits héros préférés. Un fait divers atroce dont j'ai pris connaissance sur le blog de The Cocooning around the Corner. J'ai peur de ne pas voir venir, de ne pas savoir prévenir et de me contenter de devoir guérir. J'ai peur de ne pas tenir ta main assez fort quand on traverse la rue, de prononcer des phrases qui te marqueront à vie sans en mesurer l'ampleur, d'une bombe qui exploserait près du comptoir où on doit enregistrer nos bagages.

Quand tu te lèves tôt, je suis éreintée. Si tu te lèves plus tard, je me demande si tu ne t'es pas étouffé avec ta couette. J'ai peur d'un grain sable dans la machine, j'ai peur de t'aimer trop et que tu me le reproches un jour, j'ai peur de ne pas t'aimer assez et que tu me le reproches un jour.

Cette inquiétude se mélange en permanence avec le bonheur intense que je ressens en découvrant tes progrès, en passant ma main sur ta joue encore si douce ou en jouant avec toi. Ce soir, tu comptais jusqu'à trois avec la pupille brillante d'excitation, ton gros ballon entre tes petits bras, prêt à me le lancer. Le vent était doux, l'herbe chatouillait nos pieds nus, une bière fraîche m'attendait sur la table et ton père, mon acolyte dans cette étrange aventure qu'est la parentalité, n'allait pas tarder à rentrer. Le moment était parfait et j'ai pensé, sans raison particulière, la boule au ventre, que tout ça pourrait s'arrêter brutalement un jour.

Quand on devient mère, on pense à l'enfant qui arrive, pas forcément à la personne qu'on va devenir à son contact. On espère que les questions qu'on se posait sur sa santé depuis que le petit plus s'est dessiné sur le test de grossesse disparaîtront quand il se pointera et qu'on retrouvera une certaine insouciance. Ca ne fait en fait qu'amplifier. Je me dis que le baby blues, c'est un peu ça aussi: se rendre compte de l'immensité de la tâche et avoir peur de tout foirer, se sentir avalée par un trou noir écrasée par tant de responsabilités. C'est peut-être l'un des plus grands défis de la maternité: apprendre à vivre avec cette peur. Savoir la mettre en sourdine, admettre sa présence, l'entendre, mais ne pas la laisser nous paralyser. Et ne pas, non plus lui permettre de nous pousser à freiner notre enfant. En Californie, les mamans me laissent croire qu'elles sont des warriors: à la plaine de jeux, elles encouragent leur progéniture à grands coups de "good job" et "you can do it" tandis que je répète à Ezra de faire attention, de regarder où il marche, d'y aller doucement dans l'escalier. On ne se refait pas, je suppose, mais j'essaie de prendre exemple... Et je me répète, de toutes mes forces, que tout ira bien. Hein oui, tout ira bien?

Et vous, vous ressentez aussi cette peur monstreuse et permanente depuis que vous êtes mère?

Ce billet est également publié sur le blog Sea You Son.

 

Déborah Laurent

Rédigé par hl_66

Publié dans #Réflexion

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