Rendons-nous vraiment service à nos enfants en les protégeant du monde extérieur?
Publié le 13 Mai 2018
Auteur et blogueur, papa dépassé. Après avoir fait carrière à Londres en tant que scénariste et producteur d’émissions pour enfants, Chris est aujourd’hui père au foyer. Il s’occupe de son fils, ‘Sam’. Sur son blog, il donne un aperçu sans retenue de sa vie de jeune papa.
Nous devrions les aider à prendre conscience de la chance qu’ils ont.
Lorsque nos enfants sont jeunes, nous sommes tout pour eux. C'est un rôle extrêmement important, et cela m'inquiète quand j'y pense trop. À leurs yeux, nous sommes pourvus de facultés presque surhumaines. Notre plus grand don est de faire en sorte que tout aille bien.
Bien sûr, en tant qu'adultes, nous savons que ce n'est qu'une illusion. Entretenir le mythe d'une vie ordonnée et méthodique, où il n'y a aucun problème que papa-maman ne puissent résoudre, devient un métier à plein temps. Perpétuer ce mensonge et entretenir l'innocence de nos enfants quant au véritable fonctionnement du monde peut devenir épuisant. Pour la plupart des gens, les enfants doivent croire en un monde "juste", où le bien triomphe toujours du mal et où chacun peut trouver sa place.
Pour préserver cette idée, le parent se transforme en jongleur, s'efforçant de faire tourner des assiettes en porcelaine le plus longtemps possible au sommet d'un poteau, en sachant pertinemment qu'elles finiront par tomber.
Peut-être devrions-nous revoir notre conception de la justice. Peut-être serait-il préférable de donner aux enfants une vague idée des défis que le monde peut poser, en leur expliquant délicatement que ces défis ne sont pas toujours régis par une quelconque 'justice' cosmique.
Je me rappelle encore le jour où je me suis rendu compte que mes parents ne pouvaient pas tout régler, le jour où j'ai compris qu'il n'y a que les enfants pour croire à la justice, au même titre que le père Noël ou la petite souris.
Quelques jours plus tôt, à mon retour de l'université, on m'avait appris que ma mère allait mourir d'une tumeur au cerveau inopérable. J'avais tout juste 20 ans. Et pourtant, je n'avais pas bien compris le message. Les mots comme "décès" sonnaient creux car, pour moi, tout allait s'arranger. Rien de tout cela n'avait de sens dans ma conception (limitée) du monde. Mes parents allaient trouver une solution, et tout irait bien.
Ce n'est que lorsque j'ai vu ma mère, d'habitude stoïque, en larmes avec ma tante, que tout a changé. Sans s'apercevoir de ma présence, elle a dit à sa sœur que ce n'était "pas juste". Elle allait être privée de tous les moments à venir avec sa famille, qu'elle avait "mérités", et elle n'arrivait pas à comprendre.
Ce n'est qu'alors, à l'âge relativement avancé de 20 ans, que j'ai compris que de mauvaises choses arrivent à de bonnes personnes tous les jours. Ces événements n'étaient pas justes, mais ils étaient réels. Le déni est l'une des émotions humaines les plus fortes. Jusqu'à ce jour, j'avais eu beau être témoin de toutes sortes d'injustices aux infos, je m'étais tout de même raccroché à ma vision d'un monde "juste". Il a fallu que le destin frappe à ma porte pour que je comprenne que tout ne finissait pas forcément bien.
Le monde n'est pas juste. Les gentils ne triomphent pas toujours. Il arrive que les méchants parviennent à leurs fins. Ceux qui font des efforts ne réussissent pas forcément. Certains ont de la chance et d'autres, uniquement de la malchance.
Ce qui me ramène à la parentalité. Rendons-nous vraiment service à nos enfants en les protégeant du monde extérieur? D'une manière générale, je dirais que oui. Les enfants n'ont pas à subir le fardeau de toute la tristesse du monde.
En revanche, nous avons la responsabilité de leur expliquer en douceur que le monde n'est pas toujours juste. Il est important de leur ouvrir les yeux sur la réalité pour les préparer à être généreux et bienveillants une fois adultes. En tant que parent, je trouve primordial que mon fils sache que nous ne partons pas tous avec les mêmes chances dans la vie.
J'estime que nous avons le devoir d'inculquer à nos enfants que, même si le monde n'est pas toujours juste, nous devons l'être en toute circonstance. Nous devons porter les valeurs de justice que notre société est si encline à ignorer.
Encourager l'empathie n'est pas chose aisée. Il est déjà difficile d'y parvenir à l'âge adulte, mais demander à un enfant de se mettre à la place de quelqu'un d'autre est à la limite de l'impossible. Selon moi, ce processus est d'autant plus parasité par une vision du monde trompeuse, où l'on n'a que ce que l'on mérite et où tout est bien qui finit bien. À quoi bon s'inquiéter des besoins des autres dans un univers qui s'équilibrerait de lui-même?
Si nos enfants comprennent qu'ils sont privilégiés, cela ne peut que les encourager à ressentir de la sympathie pour ceux qui ne le sont pas. Et en cas de coup dur, ils ne seront pas paralysés par un sentiment d'injustice, comme je l'ai été lorsque ma mère est décédée.
Attention, je ne suis pas en train de dire que nos enfants doivent arrêter de regarder des Disney, où le bien triomphe toujours. Je ne dis pas non plus qu'ils doivent passer leurs soirées devant les infos. Je dis simplement que nous devons les aider à prendre conscience de la chance qu'ils ont. Car en fin de compte, plus que la justice, c'est bien souvent la chance qui dicte nos vies.
Ce blog, publié à l'origine sur le HuffPost britannique, a été traduit par Typhaine Lecoq-Thual pour Fast For Word.