Je suis dépressive mais personne ne voit ma souffrance

Publié le 20 Février 2019

Shin Hye est rédactrice freelance à Montréal, au Canada. Quand elle nʼécrit pas sur ses expériences de jeune féministe et de Coréenne expatriée, son temps est consacré à voyager avec ses deux chiens. Découvrez sa vie à travers son blog.

Souffrant de dysthymie, un trouble dépressif persistant, je vis la nécessité de maintenir cette apparence comme une lutte intérieure d’une immense difficulté.

Beaucoup de gens considèrent leur foyer comme un refuge où se conduire comme bon leur semble, à l'abri du jugement des autres. Pour moi, c'est un lieu où laisser libre cours à mes émotions, y compris les plus noires, sans risquer de me voir lancer des regards gênés ou inquiets.

Au travail et en public, on attend souvent de nous de nous montrer polis, aimables et sociables. Souffrant de dysthymie, un trouble dépressif persistant, je vis la nécessité de maintenir cette apparence comme une lutte intérieure d'une immense difficulté. Et bien que je suive actuellement une thérapie et un traitement médicamenteux pour mieux gérer cette maladie, je constate que de nombreuses personnes ne se rendent pas compte de ma souffrance.

Une dépression essentiellement invisible au quotidien ne signifie pas seulement que je suis facilement irritable, triste ou morose. Comprenez-y plutôt que même si mon attitude ne correspond pas à l'image qu'on se fait d'une personne "déprimée", mon problème est bien réel, et se manifeste souvent d'une manière inattendue par la majorité.

 

Mes difficiles années de lycée, puis d'université sont probablement la période qui se rapproche le plus des caractéristiques généralement attribuées à la "dépression". Je ressentais alors un désespoir permanent, et manifestais une mélancolie chronique; ma nervosité et ma propension à la colère devenaient hors de contrôle. C'est pendant mes études supérieures que je suis tombée au plus bas: j'allais alors trop mal pour arriver à sortir de chez moi. Terrifiée à l'idée que les autres se rendent compte de quoi que ce soit, je redoutais d'aller assister aux cours sur le campus, si bien que j'ai échoué à la plupart de mes examens.

C'est à ce moment-là que j'ai décidé de me faire aider. J'ai réalisé que mes difficultés étaient bien plus graves que je ne m'efforçais de le laisser croire, et que seule une thérapie me permettrait de me relever.

Quatre ans plus tard, j'ai enfin obtenu mon diplôme et trouvé un travail à plein temps. Mon sentiment de mal-être allait et venait, mais l'hiver dernier, il a de nouveau empiré — même si personne d'autre n'aurait pu s'en rendre compte. Comme j'étais trop abattue pour chercher un psychologue, mon médecin traitant m'a prescrit des antidépresseurs pour me permettre de surmonter ce pic d'anxiété et de dépression, retrouvant la force d'entrer dans une démarche de soins plus pérenne. Mais pendant tout ce temps, la plupart des gens n'auraient jamais imaginé ce que je traversais. Et l'effet des médicaments rapprochait mon état mental de cette image que je devais renvoyer.

L'effet des médicaments rapprochait mon état mental

de cette image que je devais renvoyer.

À mes yeux, la meilleure description d'une dépression, c'est un état de détresse émotionnelle constant. Quant à une dépression cachée, c'est la même chose, derrière une façade de normalité. C'est arriver globalement à s'acquitter de ses obligations professionnelles, échanger avec ses amis et collègues et rester performant dans de nombreux domaines, malgré ses tourments intérieurs.

Élevée dans une famille qui érigeait comme une valeur clé la capacité à paraître fort, efficace et sous contrôle, je n'ai jamais considéré comme acceptable de laisser paraître mon mal-être. J'y voyais une manifestation de faiblesse (ce qui, bien sûr, est tout à fait faux).

Les gens sont souvent surpris d'apprendre que je souffre d'une dépression. Assumant très bien le quotidien, je sais être loin de l'image que les médias peuvent renvoyer de ce problème. Ma tristesse ne se voit pas, je ne souffre d'aucune addiction et il m'arrive fréquemment de sourire et de plaisanter. Mais chez moi, il en va autrement. Certains jours, quand je me trouve seule, il m'arrive de ressentir une tristesse insurmontable, d'être submergée par la noirceur du monde ou la monotonie de l'existence.

Contrairement à tous ceux qui tirent pleinement parti de leur temps libre, j'ai tendance à me traîner à l'issue de la journée, épuisée d'avoir tant lutté pour faire illusion. C'est le problème quand on s'efforce de "tout faire bien": les médicaments et votre thérapeute ont beau rendre gérables les symptômes les plus manifestes (la détresse émotionnelle, en premier lieu), rien ne peut vous guérir complètement.

Une dépression dépasse la simple émotion. Au début, quand j'apprenais à peine ce que c'était que de vivre avec cette maladie, je l'associais souvent à mon sentiment de vide, mon pessimisme et ce que je ne peux décrire que comme une sorte de douleur sourde et permanente. Mais depuis que je me fais aider, j'ai compris que c'était quelque chose de bien plus profond. Même lorsque la personne concernée fait absolument tout ce qu'elle peut pour aller mieux, cela reste un problème qu'elle devra gérer tout au long de sa vie.

Une dépression invisible, c'est arriver globalement à s'acquitter de ses obligations professionnelles, échanger avec ses amis et collègues et rester performant dans de nombreux domaines, malgré ses tourments intérieurs.

La plupart du temps, je dirais qu'un tel trouble se caractérise par une impression de vacuité — un épuisement tel qu'il se muerait presque en complète indifférence. Mais d'un autre côté, c'est un état auquel je ne me laisse aller que dans le secret de mon appartement. Et de même, cet unique espace privé devient révélateur de cette facette de moi-même. Parfois, la vaisselle s'accumule encore et encore, je passe dix jours sans me laver les cheveux ou je mets la semaine à terminer une lessive — à moins que je ne laisse mon linge propre traîner éternellement dans son panier. Me montrer "normale" en public m'éreinte tellement que j'ai tendance à laisser aller tout le reste.

Ça ne veut pas dire que ce n'est jamais rangé chez moi, ni que mes cheveux sont toujours sales — juste que ça peut m'arriver dans mes périodes difficiles. Il arrive aussi souvent que je me sente débordante d'énergie pendant plusieurs jours, voire des semaines. Mon appartement est alors impeccable, et je peux même mener à bien des projets d'ampleur comme une grande opération de tri. Tout ça vous donne l'impression d'être "guéri", et je ne cesse alors de me demander "C'est comme ça que vivent les gens normaux?" J'en suis parfois à douter d'être vraiment dépressive. Après tout, tout le monde se retrouve de temps à autre à broyer du noir — peut-être suis-je juste un peu trop paresseuse.

Mais quand je ne cesse d'être éreintée malgré les heures passées à dormir, quand ma pile d'assiettes sales m'inspire un vague déplaisir sans que je parvienne à trouver la force de m'y intéresser vraiment, je me rends bien compte qu'il n'y a pas de solution miracle et que ce n'est pas qu'une mauvaise phase — une "phase" qui durerait presque depuis mon adolescence. Le désordre qui m'entoure n'est pas un signe de négligence ni de fainéantise, mais bien de souffrance. Ce sont là mes symptômes.

Et dans ce sens, mon appartement, où je peux me permettre de me laisser un peu aller, m'aide à me montrer organisée, ordonnée et présentable aux yeux du monde. D'aucuns y verront peut-être la marque d'une personne peu soigneuse et manquant de discipline. Mais pour moi, c'est le reflet de ma santé mentale et un rappel que même si je dois prendre soin de moi, j'ai le droit de laisser ma maladie s'exprimer de temps à autre. La dépression n'est pas quelque chose qu'on peut chasser si facilement. Elle fait partie de moi. Et bien que je refuse de lui laisser le dessus sur ma vie, il lui faut bien un endroit où se loger. Il lui faut un espace où je puisse lui laisser libre cours sans subir le jugement de quiconque — ce qui ne m'arrive généralement que quand je suis seule, après une journée passée à sourire et à travailler comme si de rien n'était.

Ce blog, publié à l'origine sur le HuffPost américain, a été traduit par Guillemette Allard-Bares pour Fast ForWor

Rédigé par hl_66

Publié dans #Réflexion

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