Faisons de la vieillesse un culte et non plus une fatalité
Publié le 29 Janvier 2020
Dans le monde du travail, où l’intelligence prend plus que jamais le dessus sur les muscles, l’idée d’être “terminé à quarante ans” est bonne pour la retraite. Il s’avère que l’on devient plus efficace en vieillissant dans les métiers s’appuyant sur notre sociabilité, qui grandit elle-même avec l’âge.
Il finit toujours par nous tomber dessus: ce moment écrasant où nous nous sentons soudain vieux.
Le déclencheur peut être un anniversaire important, une maladie ou une blessure, un revers sentimental ou une promotion professionnelle manquée.
Pour moi, ça a été le fait de découvrir, à l’âge de 48 ans, que j’étais le joueur le plus âgé dans un tournoi de hockey.
J’avais beau bien jouer, les questions se sont bousculées dans ma tête: est-ce que je fais tache ici? Les gens se moquent-ils de moi? Je devrais peut-être me tourner vers un passe-temps plus adapté à mon âge. Le Bingo, peut-être?
Il n’y avait rien d’étonnant au fait que je doute. Après tout, dans un monde fasciné par la jeunesse, on peut être considéré en vieillissant comme une épave dans tous les domaines, de la chambre à coucher au conseil d’administration.
De nos jours, le mot “vieux” est si délétère que l’actrice Dame Judi Dench a banni son utilisation chez elle, et ”âge” est la première suggestion qui apparaît quand on tape la phrase “je mens sur mon…” dans Google.
Mais est-ce si dramatique de vieillir que l’on doive en faire un secret honteux? Est-ce que tout se dégrade réellement dans nos vis à partir de 35 ans?
À l’évidence, il y a des inconvénients au fait de vieillir.
Cela peut être un poids existentiel de premier ordre d’entendre le char ailé du temps qui presse. Quelle que soit la quantité de kale que vous mangiez ou le nombre d’heures que vous passiez sur un vélo d’appartement, votre corps va peu à peu fonctionner moins bien au fil du temps et votre cerveau perdre un peu de sa vivacité. Comme la plupart des cinquantenaires, j’ai besoin de lunettes pour lire— et je les ai en horreur.
Vieillir et s’améliorer
Cependant, il y a un autre aspect surprenant à ce phénomène: lorsque nous vieillissons, nous gardons toutes nos capacités dans de nombreux domaines, et nous nous améliorons même dans certains.
Au fil du temps, nous avons tendance à nous sentir de mieux en mieux dans notre peau, à moins nous soucier de ce que les autres pensent de nous et à entretenir des relations humaines plus épanouissantes. C’est peut-être pour cela que les gens déclarent souvent être les plus heureux et satisfaits de leur vie au-delà de 55 ans.
Pete Townshend, le guitariste des Who, a lui-même avoué se sentir plus joyeux à la soixantaine qu’il ne l’était dans la vingtaine quand il a écrit la célèbre phrase: “Hope I die before I get old” (“J’espère mourir avant de devenir vieux”).
Le cerveau humain peut également continuer de créer, d’apprendre, d’innover et de résoudre des problèmes passé un certain âge. En Grande-Bretagne, le prestigieux prix Turner récompense les œuvres originales d’artistes-plasticiens. Il fallait autrefois avoir moins de 50 ans pour y prétendre, mais cette limite d’âge a été abolie en 2017.
Pourquoi? Parce que, selon les mots du président du comité responsable, “les artistes peuvent franchir une étape importante dans leur travail à tout âge”.
À tout âge: trois petits mots stimulants pour toutes celles et ceux qui craignent d’être sur le déclin.
Les scientifiques atteignent eux aussi l’apogée de leur carrière à un âge plus avancé.
Quand John Goodenough a commencé à étudier la physique à l’université à l’âge de 23 ans, un professeur lui a dit qu’il était déjà trop vieux pour se faire un nom dans cette discipline. Trois décennies plus tard, à 57 ans, Goodenough a contribué à inventer la batterie rechargeable lithium-ion.
Âgé aujourd’hui de 97 ans, il reste à la pointe de la recherche sur les batteries. En octobre 2019, il est devenu la personne la plus âgée à ce jour à remporter un prix Nobel.
Dans le monde du travail, où l’intelligence prend plus que jamais le dessus sur les muscles, l’idée d’être “terminé à quarante ans” est bonne pour la retraite. Il s’avère que l’on devient plus efficace en vieillissant dans les métiers s’appuyant sur notre sociabilité, qui grandit elle-même avec l’âge.
Quand les entreprises mettent en place des boîtes à idées, les employés âgés font généralement des suggestions plus nombreuses et plus intéressantes que leurs collègues plus jeunes— et les meilleures ont tendance à venir des plus 55 ans.
Pendant que les jeunes loups se pavanent et roulent des mécaniques dans The Apprentice, leurs parents— et leurs grands-parents— cassent la baraque dans le monde des start-up. Une récente étude sur l’ensemble des nouvelles entreprises créées aux États-Unis a mené à une conclusion qui devrait mettre du baume au cœur à toutes les personnes de plus de 40 ans: “Tout indique que les sociétés sont particulièrement prospères quand leurs fondateurs les créent vers 50 ans ou au-delà.”
De même, le corps humain peut rester tout à fait fonctionnel bien après son apogée.
Je n’ai plus la force, la rapidité ou l’endurance de ma jeunesse, mais je suis aussi sportif que dans la vingtaine— peut-être même plus encore. Et je peux désormais m’inspirer d’une armée en pleine croissance de septuagénaires courant des marathons, d’octogénaires gravissant des montagnes et de nonagénaires faisant du VTT.
Bien sûr, tout le monde ne sera pas capable— et ne voudra pas— imiter ces athlètes éternels, mais grâce à une meilleure alimentation, à de meilleurs soins médicaux, aux nouvelles technologies et à une meilleure compréhension du phénomène de vieillissement, nous pouvons aujourd’hui tous aspirer à continuer d’aller de l’avant.
Dédiaboliser le fait de vieillir
Pour cela, toutefois, nous devons dédiaboliser le fait de vieillir— et cela commence à se produire.
Il y a quinze ans, j’ai observé les premiers signes d’un changement culturel vers une acceptation de la nécessité de ralentir. Aujourd’hui, le Mouvement pour la lenteur influe sur notre manière d’aborder les choses dans tous les domaines, du travail au sexe en passant par le voyage et l’éducation.
Il en va désormais de même pour le vieillissement. À l’heure où nous sommes de plus en plus nombreux à vivre plus longtemps que jamais auparavant, le culte de la jeunesse finit par paraître aussi dépassé que celui de la vitesse.
À travers le monde, on voit grandir un mouvement ayant pour but de redéfinir ce qu’est le fait de vieillir au XXI siècle. De le présenter comme une aventure plutôt qu’une souffrance, comme un processus par lequel des portes s’ouvrent au lieu de se fermer.
Il y a deux choses que nous pouvons faire maintenant pour prendre part à cette révolution culturelle.
Premièrement, faire attention à notre langage. Arrêter d’employer des expressions comme “prendre un coup de vieux” ou “anti-âge”, qui renforcent l’idée que le vieillissement n’est qu’une forme de déclin.
Deuxièmement, commencer à être honnête concernant notre âge.
Le fait de mentir donne aux chiffres un pouvoir qu’ils ne méritent pas et nous enferme dans des stéréotypes néfastes sur le vieillissement.
En étant honnêtes sur notre âge et en fêtant nos anniversaires avec joie au lieu de les déplorer, nous nous libérons et nous permettons de profiter au maximum de nos vies à tout âge.
C’est assurément devenu un principe pour moi d’être honnête. J’ai aujourd’hui 51 ans et je grisonne— mais rien de tout cela ne me fait honte.
Au contraire, je suis fier d’être arrivé là et excité à l’idée que de bonnes choses m’attendent dans les années à venir.
J’envisage même de porter le numéro 51 sur mon maillot au prochain tournoi de hockey.
Ed. Marabout
Carl