Publié le 14 Juin 2020

« Etre présent, c’est se tenir à l’avant de soi, à l’avant d’une situation »

H. Maldiney

1La motivation et le désir sont liés. Elle renvoie à l’appréhension par le sujet du plaisir, notamment du plaisir de vivre. La motivation continue toute la vie, participant à l'image cognitive de la personne, à l'image de soi intuitive, bâtie sur des aspirations et des désirs. La démotivation n’est donc pas le fait de l’âge mais a sa source dans la psychologie de certaines personnes âgées. Dans la démotivation, à l’inverse du deuil, une perte est advenue, qui est irrémédiable, et l’objet du désir est inaccessible, mais cette perception est court-circuitée par une adaptation anti-résiliente du sujet qui va se laisser gagner par l’indifférence plutôt que de vivre sa souffrance. Cette perte est refusée car elle ne peut être élaborée, ne donnant pas lieu à une représentation, comme dans le deuil. La démotivation est au coeur de la problématique gérontologique. Les soignants savent, que sur le plan médical, les pathologies aiguës surviennent sur fond de perte d’autonomie qui, combinée aux désavantages sociaux, constitue le handicap. Pour autant la lutte pour l’autonomie ne se résume pas à la consommation de soins pour échapper à la dépendance, même si le poids social, familial et financier reste central dans le cadre général de la prise en charge (Serquier,1998). L’engagement dans le quotidien, le don de soi en relation aux personnes aimées, l’investissement et la persévérance dans l’action, la conation sont des éléments fondamentaux du bon vieillissement et une constance eu égard à l’intérêt de l’aîné pour autrui ou pour lui-même. La prise en compte du style motivationnel assure un sens à l’action soignante. Cet article examine les mécanismes de la démotivation acquise et revient sur la notion d’acédie et d’émoussement affectif. Il pointe les nuances cliniques entre dépression et démotivation et esquisse les modalités de prise en charge de la perte d’activités due à un tel trouble.

PRÉALABLE CONCEPTUEL SUR LA NOTION DE MOTIVATION DANS LA PSYCHOLOGIE DE LA MOTIVATION

PHÉNOMÉNOLOGIE DE LA DÉMOTIVATION

2La motivation et le désir sont liés ainsi que l'a montré il y a plusieurs années le philosophe Paul Diel (Diel, 1992). Pour ce dernier, un objet attrayant suscite l'excitation mais c'est la distance ou l'obstacle entre l'objet et la satisfaction du besoin éveillé qui crée le désir, donc le vécu d’un manque, ce qu’avait déjà avancé Platon. Mais Diel élabore l’idée d’un désir essentiel, à l’aulne duquel tous les autres désirs sont ramenés. Ainsi ce qui pose problème est le déchirement de chaque être humain entre des désirs, peu ou prou contrariés par des frustrations mal élaborées et des interdits, et des actes pris sous l’emprise de l’imagination exaltée et en lien conflictuel avec ce même désir essentiel. La perception préconsciente d’un désir essentiel non épanoui peut alors conduire à frapper ces désirs exaltés d’interdit, d’où l’apparition d’une angoisse coupable, inhibitive, ce qui déjà annonçait ou préfigurait ce qui sera plus tard reconnu comme un état de démotivation. La motivation est donc une réaction en suspens, mais non au sens d’un processus figé, mais dans celui d’un véritable suspense. Elle émerge au sein de l’élan vital, donc engage le choix total de l’être et surtout les possibilités ou les capacités adaptatives de la personne. Ce qui sera vainqueur de cette lutte entre désirs exaltés et désir fondamental, ce même combat que le caducée symbolise par l’axe autour duquel les serpents sont enroulés, élabore le suspense à l’œuvre dans le déroulement désidératif chargé de préparer l'activité future. Mal élaboré pour sa satisfaction, le désir éclate en désirs secondaires, palliatifs, multiples, seulement partiellement satisfaisants. Seul le rangement des actes selon un désir primordial, réparateur, permet de re-harmoniser les tensions internes qui naissent des frustrations et des insatisfactions.

3On retrouve une analyse assez comparable chez Saint Augustin, pour qui tout désir en l'homme est manifestation de ce désir fondamental qu'est en fait le désir de l'homme envers Dieu. Séparé de Dieu par le péché, l'homme n'a de cesse qu'il n'ait été réuni à Lui : il cherche désespérément dans les créatures la satisfaction de ce désir essentiel, trop essentiel pour être jamais comblé. L'homme n'atteint que des satisfactions toujours partielles, jamais satisfaisantes, jamais comblantes. Les autres désirs peuvent conduire à une aliénation douloureuse.

4Pour Diel, la pensée, les réactions et l'action motivée sont légalement et causalement reliées, et c'est cette liaison légale et cette causalité interne que l'on appelle la motivation essentielle, qui devrait donc être comprise plus comme un axe motivationnel que comme une motivation parmi d’autres. La motivation fait encore l’interface entre le système émotionnel et les capacités exécutives qui ont un soubassement cérébral frontal, de par la plus ou moins grande « anticipation des possibilités » qui se présentent à la personne dans sa réalité interne et externe. Elle dépend donc de la capacité à bâtir cette image interne, ce qui est tributaire des fonctions cognitives. En ce sens la motivation est aussi un élan vers la réharmonisation, la cohérence entre réalité interne et externe, une propension à la rencontre ou à l’engagement dans le quotidien, un besoin de faire une activité (conation) ou une envie à combler.

5La motivation est encore pour Sutter l’élan de l’anticipation (Sutter, 1991). Et il n’est pas innocent que cette notion ait été tôt analysée et méditée par les phénoménologues alors qu’elle est par ailleurs dévalorisée par la psychanalyse qui n’y voit qu’un schème d’action et en aucun cas un concept clarifiant ou un facteur capital de la santé mentale. L’inconscient ignore le temps et la pulsion « pousse », précisément, chacun à se conformer à son préconscient, à ce qu’il pressent de la béance de l’inconscient, d’où une opposition de ces deux notions liées à la motivation. Elle est présence à l’avenir afin de le « mettre en désir », là où la pulsion cherche à se réaliser de toute éternité. Mais cette approche demeure tributaire de l’idée de pulsion comme «du ressort du fonctionnement de l’appareil psychique» (Laplanche & Pontalis, 1997) et, quand bien même la pulsion proprement dite n’est que cet être mythique dont parle Freud, formidable dans son imprécision, on sent bien que cette opposition n’est que relative puisqu’il est admis de parler de dynamisme pulsionnel... De façon plus subtile, Levinas pose la question du désir, dont le désir de temps, comme central au plan humain – là réside sa phénoménologie du visage – en terme de motivation liée à l’idée d’Infini : «L’idée de l’Infini se révèle […] C’est le désir qui mesure l’infinité de l’infini […] Le Désir est une aspiration que le Désirable anime; il naît à partir de son objet, il est révélation. Alors que le besoin est un vide de l’Ame, il part du sujet» (Levinas, 1971).

6Quoiqu’il en soit, l'anticipation, cette attitude temporelle proprement créative, est inscrite dans une réalité temporelle ou elle n’est pas. La menace sur les perspectives d’avenir qui est présente à l’esprit de nombreuses personnes âgées effrite leur capacité d’anticipation. Elle reste certes à la portée des sujets âgés, mais elle est encore souvent piégée par le miroir social que l'ancien personnifie bon gré mal gré. L'anticipation ne saurait exister sans tension volontaire vers un but, pleinement assumée dans l'activité. La perte d'activité de la personne âgée enveloppe déjà l'atteinte infra-clinique de l'anticipation et ouvre discrètement la porte à la représentation du temps comme limitative de l'être. Il y a même une collusion secrète entre le changement qui défait – oubli, vieillissement – et le temps qui simplement passe, comme si le temps de la construction ne pouvait plus être intégré, frustrant toujours plus le désir de durer. A trop répéter la frustration, à trop rester inactif, à trop voir l'horizon de l'avenir bouché, que peuvent alors encore s'autoriser les personnes âgées lorsque les expériences de la vie les déçoivent plus qu'elles ne les encouragent ? A quoi bon s'engager dans une action de plus en plus fatigante, parfois douloureuse si le corps s'ankylose et si seul le repli sur soi semble réconfortant ? On touche ici à l’atteinte de l’envie de faire, soit l’atteinte de la conation, notion héritée du Conatus spinozien, soit le désir de persévérer dans son être et par extension d’exister dans et par l’action.

MOTIVATION ET THÉORIE DE L’APPRENTISSAGE

7La motivation continue toute la vie, participant à l'image cognitive de la personne, à l'image de soi intuitive, bâtie sur des aspirations et des désirs. La conation renvoie à la notion d'insistance dans l’action branchée sur le réel et à la volonté de gérer les suites d’une action initiée, faite d’espoir reconduit de faire aboutir un projet décidé. Il existe deux types de motivation selon Deci (Deci & Ryan, 1990), la motivation intrinsèque et la motivation extrinsèque. La première renvoie à un objet interne comme source de l'excitation : valeurs ou désir, en tant qu’il supporte la réalisation d’un besoin d’auto-détermination. La seconde renvoie à une référence extérieure : besoin d’éviter quelque chose de désagréable ou besoin d'être récompensé par quelqu'un. La motivation est soit autodéterminée – c'est la personne qui décide – soit elle est de détermination externe : la personne est influencée par un tiers, qu'il soit présent ou absent. Généralement les motivations internes sont autodéterminées et les motivations externes hétéro-déterminées. Comme le sont les désirs, les motivations sont multiples à un moment donné : c’est en fait une série de motivations intermédiaires que Deci et Ryan mettent en jeu : régulation externe qui correspond exactement à ce qui est exposé concernant la motivation extrinsèque, la régulation introjectée, dégradée de la précédente (par exemple faire quelque chose pour éviter de se sentir coupable de ne rien faire), régulation identifiée (reliée à la réalisation de soi-même) (Ryan & Deci, 2000). La motivation renvoie à l’apprentissage et à l’intégration du système des récompenses et /ou de punitions. L’amotivation est aussi décrite par ces mêmes auteurs comme la conséquence de la perte de contrôle du résultat qui suit son comportement. Cette forme clinique de démotivation est intéressante car dans ce cas le malade n’est ni motivé intrinsèquement ni motivé extrinsèquement, se contentant de faire les choses mécaniquement sans rien sentir : «Je ne sais, je ne vois pas ce que ça peut me donner». L’amotivation est encore une des composantes de l’échelle de motivation pour les personnes âgées (EMPA) mise au point par Valerand et O’Connor (Vallerand & O'Connor, 1991).

8Cette forme de démotivation, proche d’une routinisation de l’action, est donc en lien avec un émoussement affectif, ce qui est très proche de l’apathie. La théorie de Deci a été critiquée car ne comprenant pas l’idée de feed-back sur l’action, d’information sur la compétence, comme procédé permettant à l’effet de la récompense d’agir autrement qu’en diminuant l’auto-détermination ou qu’en exacerbant la motivation extrinsèque, mais plutôt à la façon d’un impact global sur le niveau de motivation : l’exemple qu’on peut donner serait celui des distinctions sportives permettant d’identifier un niveau, comme les étoiles au ski. C'est donc l'image cognitive de la personne qui permet de régler les conflits entre les motivations contradictoires et qui hiérarchise les investissements. Elle régule la dissonance née des contradictions entre image interne et appréhension de la réalité externe (Festinger, 1987). La motivation en tout cas conduit aux actes posés dans le souci de répondre à une émotion ou une recherche de réduction de la dissonance cognitive, permettant ainsi le remaniement des représentations mentales (Festinger, 1962). La motivation bien pensée fait encore partie des mécanismes de renforcement des apprentissages et de consolidation des choix : le succès la renforce plutôt, là où les échecs la diminue globalement.

9D’un point neuropsychologique enfin, la motivation fait non seulement intervenir la cognition (analyse du possible et de l’intérêt, compréhension consciente de la situation actuelle…), et la conation (volonté de faire, persévérance dans l’action…) mais aussi l’émotion (plaisir anticipé, envie identifiée…). Il s’agit ainsi d’une réalité complexe, à la fois un comportement et un processus faisant intervenir, très schématiquement, le lobe frontal, les noyaux amygdaliens, le striatum ventral et le cerveau associatif. Le lobe frontal est impliqué dans de nombreuses fonctions cérébrales : émotion, comportement, cognition, exécution de tâches complexes et vitesse d’exécution (avec le cervelet).

DÉMOTIVATION ET PSYCHOPATHOLOGIE

DÉMOTIVATION ET ANGOISSE DE MORT

10La relation à la mort comme aux exigences de la culture est l’expression psychique de notre rapport à la vie pulsionnelle et le signe de ce qui a pu en être élaboré. Balier a bien montré combien les crises de l’âge conduisent à faire réémerger les conflits non résolus de l’enfance et de l’adolescence (Balier, 1973). Bien ou mal vieillir témoigne l’aptitude à faire face aux exigences des revendications pulsionnelles. En ce sens, la démotivation est une mort de l’investissement social qui précède la mort physique. L'idéal du moi pour Freud est un substitut du moi idéal (Freud, 1950). Sous l'influence des critiques parentales et du milieu extérieur, les premiers revers de satisfactions narcissiques procurées par le « moi idéal » sont progressivement abandonnés par l’enfant, qui cherche à les reconquérir sous forme d’un nouvel idéal du moi. L’échec des entreprises, une trop grande sensibilité aux regards dévalorisants de la vieillesse colportés par la société conduisent nombre de personnes âgées à s’enfermer dans des rigidités où l’idéal du moi supplée le moi idéal. Pour Lacan, il y a lieu de distinguer radicalement l'idéal du moi et le moi idéal. Le premier est une introjection symbolique, alors que le second est la source d'une projection imaginaire (Lacan & Miller, 2001). L'idéal du moi devient une instance confondue avec le surmoi en raison de sa fonction d'autoconservation, de jugement et de censure qui augmente les exigences du moi et favorise le refoulement, d’autant qu’avec l’âge les exigences libidinales s’effacent devant les exigences culturelles. La réalité symbolique devient de plus en plus exigeante et difficile à manier, mais la projection imaginaire reste pourtant à portée à tout âge. Le principe de plaisir s’étouffe progressivement, laissant la place au ressentiment d’être exclu et de s’être exclu des champs de satisfaction à vivre encore possibles. Le bon vieillissement, qui préserve la motivation, vise au contraire à développer un meilleur équilibre entre « moi idéal » et « idéal du moi » (Charazac, 1998), quitte à relativiser les exigences du « politiquement correct ».

DÉMOTIVATION ET EXCÈS DE RAISON

11L’approche de la réalité se fait, comme par conservatisme d’une vie de plus en plus fade, sur le mode de l’utilitarisme, efficace et moralisateur, montrant bien les enjeux sous jacent au déséquilibre entre principe de raison et principe de plaisir, et cher à Jeremy Bentham : «La nature a placé l’Homme sous l’autorité de deux maîtres souverains : la douleur et le plaisir. Ce sont eux seuls qui indiquent ce que nous devons faire, et ce qui détermine ce que nous ferons. A leur trône sont attachées d’un côté la mesure du bien et du mal, de l’autre la chaîne des causes et des effets. Ils nous dirigent dans toutes nos actions, dans toutes nos paroles et dans toutes nos pensées… ». Les affects, les émotions s’estompent devant l’abord cognitif, quitte à sacrifier le jeu de l’intuition. Si raison est pris au sens de pensée déductive sans affects alors son excès provoque la négation de l’école de l’expérience, soit le refus et la mort du temps. L’ennui envahit la vie quotidienne, peut-être dernier rempart devant l’angoisse de mort qui ne peut que se profiler devant le désinvestissement. La démotivation est en ce sens un surdétachement, un refus de l’impermanence auquel nous confronte pourtant l’avance en âge et surtout un refus de remettre sa liberté en question d’où un fréquent non accueil d’Autrui (Levinas, 1971). La fuite adoptée devant la difficulté n’est pas la solution, elle est la clé de la problématique source de faillite motivationnelle : «Quand elle s’ennuie, elle se couche», nous disait l’accompagnant d’une patiente démotivée. L’excès de raison tue la motivation, et on peut ainsi se demander, si parfois l’évolution démentielle, où l’affect et les sentiments resurgissent de façon dramatique, chez les sujets jusque-là regardés par leurs proches comme raisonnables, n’est pas un moyen involontaire pour la vie émotionnelle de sortir d’une impasse psychocognitive.

12Cette impasse est en grande partie préformée par la démotivation en ce sens que nombre de personnes âgées ne peuvent s’offusquer face à leur réalité frustrante, les protestations étant généralement interprétées comme des preuves de mauvais caractère. En réagissant ainsi, les proches et les soignants les isolent et les punissent, réactivant ainsi la culpabilité inhibitive des malades. De la sorte nombre de « vieux caractériels » qui se calment ne le font en fait qu’après avoir incorporé dans leur mémoire un desespoir appris, à la manière des enfants orphelins, privés de résilience, décrits par Cyrulnik (Cyrulnik, 2006).

DÉMOTIVATION, MÉLANCOLIE ET ACÉDIE

13Démotivation et mélancolie de la personne âgée entretiennent des liens étroits. Pour Lacan, «Le mélancolique ne vous dit pas qu'il a mauvaise mine, ou qu'il a une sale gueule, ou qu'il est tordu, mais qu'il est le dernier des derniers, qu'il entraîne des catastrophes pour toute sa parenté, etc. Dans ses accusations, il est entièrement dans le domaine du symbolique. Ajoutez-y l'avoir – il est ruiné – … – Un remords donc, à propos d'un objet qui est entré à quelque titre dans le champ du désir, et qui, de son fait, ou de quelque risque qu'il a couru dans l'aventure, a disparu.» (Lacan & Miller, 2001). Dans la démotivation, l’objet du désir est perdu mais reste quelque part en souffrance, inaccessible de par le choix « forcé » du sujet d’intérioriser sa souffrance sans accès à un travail de deuil.

14Lacan cite la mélancolie, qui longtemps a eu un sens religieux, affection que l’on rattachait à l'âme et non à la psyché, et qu’Evagre le Pontique nommait acédie, soit l'état d'une âme rongée par le doute, qui a perdu la foi mais pas son souvenir, qui ne se console pas d'une telle perte ni ne se résigne au vide, à l'absence. Au IIIe siècle, Evagre décrivait chez ses moines du désert, une crise du milieu de la vie, crise faite d’irritabilité et d’insatisfaction permanente, de désintérêt d’autrui, de dégoût de vivre et de désinvestissement, fait d’autant plus surprenant qu’il touchait des personnes jusque-là très engagées dans la prière, détachées de toute jouissance matérielle, et qui semblaient jusque-là s’en réjouir. La problématique survenait en effet sur le tard de la vie et ne s’accompagnait d’aucune marque de souffrance ou de compassion devant les difficultés d’autrui. L’individu était comme centré sur sa souffrance et fermé à tout désir mais ouvert au vide de l’âme, au règne tyrannique du besoin insensé. Evagre recommandait pour y pallier les soins du corps et l’inscription des actes des moines dans des secteurs porteurs de sens.

15Cette ligne de conduite montre que la démotivation coupe l’être humain d’un ancrage dans sa ligne de temps et dans son horizon pratique, comme si l’être démotivé ne comprenait plus son corps alors que le corps bien compris, c’est «d‘avoir du temps au milieu des faits» Levinas, 1971).

CLINIQUE DES TROUBLES MOTIVATIONNELS ET ÉVALUATION DE LA DÉMOTIVATION

16Les signes les plus classiques à considérer sont l’indifférence affective, intellectuelle et surtout l’indifférence aux échecs, déjà notée par Esquirol, qui s’associe à une banalisation de l'état actuel, une déresponsabilisation : la personne âgée dépendante « baisse les bras ». L’examen clinique doit également systématiquement rechercher des pathologies organiques à risque de troubles motivationnels et de perte d’activités dans le quotidien. Les troubles neuromusculosquelettiques participent à la fragilité de la personne âgée démotivée (Tableau I).

 

Symptomatologie clinique associée significativement à un trouble de motivation

 

17Les personnes fragiles sont à risque, risque de chute par exemple, mais aussi risque d’hospitalisation et de décès prématuré. L’idée actuelle est que la fragilité provient d’un ensemble de facteurs, un cluster de conditions issues de la maladie et du handicap, interagissant au sein d’un vécu de démotivation. Les signes de fragilité débordent largement la faiblesse musculaire (sarcopénie) pour regrouper la perte de poids, la faiblesse de l’état général, la moindre activité physique et l’épuisement. En ce domaine, ce ne sont pas les personnes les plus fragiles qui sollicitent le plus d’aide pour elles-mêmes et des initiatives sont à promouvoir afin de mieux les épauler.

18Un bilan somatique s’impose donc, recherchant également une affection comorbide ou une complication iatrogène (Tableau II). Les nombreux résidents démotivés, qui souffrent de cette mise en sommeil de leurs capacités fonctionnelles, voient la sédentarité aggraver leur dépendance : bien que capables de se déplacer, ils passent leurs journées au lit ou au fauteuil et participent du bout des lèvres, ou même ont cessé de le faire, aux ateliers occupationnels où l’on chante, où l’on exerce la mémoire, où l’on fait quelques mouvements d’entretien…

 

Les pathologies iatrogènes et les troubles métaboliques responsables de démotivation

 

19La démotivation de la personne âgée, même si elle survient en l’absence de troubles cognitifs, est un handicap majeur quand celle-ci est dépendante ou handicapée car elle ruine l’investissement du projet de soin, confinant la personne dans une soumission à toujours plus de dépendance et de désavantage (Pfitzenmeyer et al., 1997). La clinique est diverse et regroupe outre la question des dépressions à forme conative, celles avec tendance à l’hypochondrie et perte d’activité, des traits communs à l’amotivation de Deci, à la résignation apprise (learned helplessness) de Seligman (Seligman et al., 1980). En institution, nombre de personnes âgées dépressives sont conjointement démotivées, au sens d’une moindre motivation intrinsèque, ce qui démontre le peu de cas que la société fait généralement du véritable choix de nombre de nos aînés quand à leur désir réel d’aller en maison de retraite de leur propre initiative. De plus, ce sont souvent ces mêmes malades qui se plaignent le moins de leur souffrance, qui s’avèrent le plus sidérées, ce que d’aucuns rapprochent des états d’agonie psychique.

20Lorsqu’une humeur dépressive colore cette trame de base, il existe alors tous les traits de la dépression conative mais lorsque l’apathie s’accentue, se pose souvent la question de formes de passage vers la démence. Dans cas, le découragement et l’émoussement affectif engendrent une sensation de ne rien faire de bon et la souffrance témoigne alors de vécus émotionnels soit tristes soit moroses de n'être plus au service de la vie. Lorsque les émotions éveillées par les expériences de régression sont séquestrées et non reprises auprès des proches, un état de démotivation permanente est présent qui initialise en retour la régression. Il est utile aussi d’analyser la situation familiale pour favoriser la reconnaissance des régressions, qui viennent parfois incarner un flou des limites soignantsoigné ainsi qu’un no man’s land diagnostique, et en fait accompagner la course évolutive de maladies démentielles avérées. La démotivation et l’apathie chez la personne âgée pourraient être de plus en rapport avec des altérations de circuits dopaminergiques sous-corticaux, ce qui rend compte de l’apathie dans la maladie de Parkinson, ainsi que des cibles cholinergiques corticales et limbiques expliquant les troubles exécutifs. La mise en évidence d’une démotivation, accompagnée de troubles exécutifs, présente un indiscutable intérêt en tant que possible prodrome d’un syndrome dépressif-dysexécutif (Hazif-Thomas, 2005) ou d’un état démentiel débutant, alors même que manque la plainte mémoire (Thomas, 2004).

21La démotivation ne reste pourtant définie outre-Atlantique que comme une indifférence, une léthargie, un manque général de motivation. Pour nos collègues américains, il s'agit d'un syndrome et non d'un symptôme (Robert & Marin, 1997). La démotivation est pourtant plus que cela, à la fois une inhibition du mouvement vers l’avenir et la perte du plaisir de désirer.

22La démotivation, une fois installée, renvoie davantage à l’angoisse d’abandon qu’à l’angoisse de castration. Ce dernier point est important en ce qu’il explique que ce n’est pas là une inhibition psychomotrice : dans le style existentiel du sujet démotivé, se vit une angoisse de non amour, non une angoisse d’être coupé de l’inconscient en tant que l’inconscient serait ce lieu de transit, de transfert entre l’excitabilité et la cognition. Ici le moindre geste n’est pas de l’ordre d’un effort démesuré, c’est le désir de faire cet effort qui manque : ce n’est pas comparable ! La dépendance à l’environnement est favorisée par la démotivation, là où l’inhibition vient de la sensation exténuante de remonter le courant à l’envers, de ne plus pouvoir vivre en accord avec soi-même, là où le déprimé ne peut vivre en accord avec lui-même qu’au travers de la culpabilité. Ce qu’il faut comprendre, c’est que la démotivation côtoie un refus de la perte du statu quo, que justement cette dépendance a permis d’instituer. La démotivation parfois est le refus actif du contact, vécu comme source de remise en cause d’une tranquillité bien méritée, évoquant comme une résistance passive. Madame F. est prostrée, les traits crispés, les yeux fermés, ne parlant pas depuis son entrée à l’hôpital. A la visite, le médecin lui prenant la main sent une forte opposition. Il dit à l’interne : «Elle résiste, c’est volontaire». La patiente sursaute. Elle ouvre les yeux et dit : «Naturellement, je résiste. Qu’est-ce que vous croyez ?». On voit bien ici un phénomène de résistance au changement qui n’a rien à voir avec l’inhibition dépressive par laquelle le mélancolique par exemple vit la mort de son corps ou sa disparition alors que son esprit demeure vivant. C’est comme si dans la démotivation confinant à l’apathie le problème venait plus de ce que l’âme n’arrive plus à « actuer » le corps, là où avec l’inhibition c’est le corps qui se refuse à l’esprit. Ailleurs la personne âgée peut se sentir trahie par l’entourage et se réfugier dans le silence, étouffant ses émotions par une répression des affects. Chez le patient déprimé et mélancolique, l’affect est incontestablement triste ou pessimiste et l'autonomie est vécue comme irrémédiablement perdue alors même que la dépendance peut rester toute relative. Cette conviction mélancolique de la perte d’autonomie est d’ailleurs présente systématiquement. C'est que «le mélancolique considère en règle la perte, non pas comme devant advenir, mais comme déjà réalisée» (Biswanger, 1987).

23En clinique, il peut être utile aussi de s’aider d’instruments de dépistage, telle l’échelle de démotivation (EAD) de Thomas et al., (Chantoin et al., 2001), validée en français chez les personnes âgées démentes ou non, qui existe en version courte (tableaux III et IV). L’inventaire neuropsychologique (NPI) de Cummings comporte différents traits relatifs aux symptômes négatifs (Cummings & Mcpherson, 2001), repris par Robert dans son inventaire d'apathie, ce dernier outil étant positionné comme outil d’évaluation de l’apathie dans la maladie d’Alzheimer, de Parkinson et le mild cognitive impairment (Robert et al., 2002). Il évalue l’émoussement affectif à côté de la perte d’initiative et de la perte d’intérêt en quelques questions simples : le malade s’intéresse-t-il aux activités et aux projets des autres, est-il affectueux, a-t-il des sentiments ?... Ces échelles et notamment l’EAD se présentent comme des échelles à passation indirecte se basant sur une bonne connaissance des patients et de leur mode de vie. Pour cette échelle en 15 items, les réponses varient entre très souvent, souvent, parfois et jamais; le score seuil est de 37, et il est possible de la faire passer avec l’aide de la famille lorsque le patient n’est pas suffisamment connu de l’équipe. 

 

 

 

L’échelle d’évaluation de la démotivation (EAD), version courte.

 

 

 

ANGOISSE D’ABANDON, DÉMOTIVATION ET RENONCEMENT AU PLAISIR : L’EXEMPLE DE LA MALADIE D’ALZHEIMER

24Un des plus importants symptômes comorbides à repérer dans la démotivation du patient dément (Hazif-Thomas, 2007) est sans doute l’angoisse d’abandon du malade Alzheimer qui, par ce travers, se prive très souvent de vivre les plaisirs qui restent pourtant encore à sa portée. Ainsi telle patiente, Mme M., empoisonne la vie du petit groupe présent dans le Centre d’Accueil pour malades Alzheimer, parce qu’elle est terrorisée à l’idée d’être laissée en plan par son mari dans ce lieu dans lequel elle ne se sent pas chez elle. Comme on la « laisse tomber », elle se laisse tomber. Elle sera hospitalisée quelques jours après et fera une chute plus grave que les autres, stigmatisant ainsi sa douleur de perdre moins la tête que la tête de sa relation à son mari, qu’elle avait toujours jusque-là dominé, tout comme ses enfants d’ailleurs. Moment tragiquement indépassable lorsqu’il révèle au grand jour ce que ressentait confusément chacun jusque-là : «Mais il y a toujours dans la communauté ceux dont la vie est dominée par un trouble psychiatrique plus ou moins grand, ou par un mal être qu’ils ne s’expliquent pas, ou encore par l’absence d’une certitude quant à leur plaisir d’être en vie […] J’ai résumé cela en disant qu’ils souffraient d’une rigidité des défenses» (Winnicott, 1970).

25De fait la démotivation de ce type de malade à tenter encore une aventure exploratoire tranche dans ces cas que certains ont aussi qualifiés de crises d’adolescence aggravées – ou de crises de sénescence manquées (Bergeret, 1986) – avec la rupture activement entretenue des liens transgénérationnels, pour nous dire quelque chose de cette transaction contradictoire qu’évoque Cyrulnik (Cyrulnik, 2006) dans son analyse du vieillissement neuronal. Jean Bergeret met en effet en parallèle la crise du vieillissement avec la crise d’adolescence, «même si la situation affective, relationnelle, et le mode évolutif n’apparaissent pas aller dans le même sens». (Bergeret, 1982)

26C’est pour lui une nouvelle crise d’identité au cours de laquelle est revécue activement la façon dont le sujet se considère lui-même face aux autres et donc rejoue ce qu’il considère comme ayant valeur de plaisir ou non, fut-ce au grand dam de sa famille. Au cours de cette étape, le sujet âgé doit se remettre en question pour découvrir de nouveaux modes d’identification intégrant les anciens, permettant d’intérioriser la réalité extérieure dans ses aspects affectifs et sociaux actuels, autorisant ainsi de «nouveaux apprentissages compétitifs au regard de personnes du même âge », ce qui suppose un travail de renoncement et n’est pas toujours facile à accepter au plan de l’identité ou évident à endurer narcissiquement. Le sujet doit en effet intégrer à sa personnalité, à son histoire de vie et à ses modalités relationnelles, les données objectives de sa réalité interne et externe, physique et psychique, réalité nouvelle qui nécessite de laisser derrière soi certains acquis pour investir dans de nouveaux champs d’intérêt.

27L’angoisse d’abandon est ainsi surdéterminée et mêlée à toute une histoire de vie, dans laquelle le plaisir a parfois régné par son absence, noyé dans le travail et l’amour rendu au nom du seul « devoir ». Sans doute cette angoisse a-t-elle d’autres sources et d’autres expressions, mais si cette crainte habite psychiquement nombre d’âgés, en particulier déments, elle n’en est pas moins objet de partage possible, qu’il est souvent donné au clinicien de travailler lorsqu’il a vraiment conscience de l’impérieuse urgence de prévenir les crises liées à ce qu’il est convenu d’appeler les signes et symptômes comportementaux de la démence, bien plus fréquents qu’on ne le croie lorsque la menace d’explosion de l’homéostasie plane sur tout le système soignant-soigné. C’est particulièrement dans ces situations qu’il convient de faire attention au contre-transfert car la démence, la psychose confrontent chacun à ses limites, à savoir jusqu’où il peut «supporter d’être impuissant voire insignifiant et non reconnu» comme support d’une évolution plus sereine et moins effrayante de la maladie, laissant la personne malade moins «abandonnée à la maladie», «à elle-même malade» et «en elle-même telle que la maladie la fige». Manifestement cette patiente, Mme M., n’avait pu intégrer, à la différence des autres membres du groupe, heureux d’échanger autour du café ou de pousser la chansonnette, le bonheur de faire avec le présent, celui du corps, du monde de la perception toute simple, tel qu’il est si bien rendu par Aristippe : «Ce n’est pas celui qui s’abstient du plaisir qui le maîtrise, mais celui qui s’en réjouit sans excès. De même que maîtrise un navire ou un cheval non pas celui qui ne les utilise pas, mais celui qui les dirige où il veut». Abandonnée par le monde, elle ne voulait qu’en faire à sa tête, façon de se prouver que sa tête restait bien la sienne, loin de quelque maladie que ce soit.

DÉMOTIVATION ET VIEILLESSE, APATHIE ET DÉMENCE : DÉTERMINANTS PSYCHOSOCIAUX

DÉSAFFÉRENTATION SOCIALE

28Vieillir ne renvoie pas au deuil, ce qui suppose une possibilité de réinvestissement, mais à l’obligation de se confronter aux pertes liées à l’âge. Avec les années, la personne âgée est confrontée à des pertes, le plus souvent non compensées : affectives, sociales, matérielles ou physiques qui favorisent le désinvestissement. Le vieillissement expose aussi la personne âgée à de multiples difficultés sociales, qu’elles soient liées aux problèmes somatiques qui gênent la locomotion ou la communication, aux problèmes financiers ou simplement liées aux phénomènes de rejet de la personne mal adaptée aux standards et attendus sociaux prédominants. La personne âgée fragilisée au plan affectif par sa solitude, par les deuils auxquels elle est confrontée, est parfois tentée de baisser les bras. L’âgisme comme la tristesse font le lit de la désafférentation sociale.

ÉMOUSSEMENT DE L’ANTICIPATION ET IMPUISSANCE APPRISE

29Chez la personne âgée, l'anticipation est volontiers émoussée, par peur de l'avenir, par démission de l'envie de faire, par impression (parfois réelle) d'être rejetée socialement. L'altération de l'anticipation chez la personne âgée est armée par la peur de la solitude. Souvent les personnes âgées n'ont personne sur qui s'appuyer pour occuper le temps, prendre des décisions. Leur solitude les confine à vivre dans un présent sans graines d’avenir, dans un style par compensation, le temps n'étant pas pris pour faire le deuil d'une relation. Le repli sur soi s'accompagne ainsi de troubles de la conation. Il faut se méfier chez la personne âgée des conduites de refus ou d'abandon des activités en cours. Quand la personne se rebute, soit elle n'a effectivement pas envie de ce qu'on lui propose, soit encore, elle est clairement démotivée, et dans l’incapacité de mettre sa mémoire de vie, largement occupée par trop de désespoir appris, au service d’un projet anticipatoire, d’un élan vital encore orienté par un espoir mobilisateur.

30La démotivation ne touche pas un segment de l’existence mais la totalité du fonctionnement de la personne. Martin Seligman a pointé qu'un certain nombre de situations pouvaient sensibiliser des animaux à la résignation et au renoncement à entreprendre. Il a décrit le mécanisme de l'impuissance apprise, qui conditionne des animaux, à un certain nombre d'attitudes de retrait de ce qu'ils pourraient faire spontanément, y compris lutter pour assurer leur propre survie. Les animaux sensibilisés à l'impuissance apprise apprennent moins que les autres, ils sont moins résistants dans les expériences de survie. Ce processus est cependant réversible sous antidépresseurs ou par un réapprentissage en mettant les animaux dans des situations comparables à celles qui les ont sensibilisés au renoncement. Il serait caricatural d'appliquer sans nuance la théorie de l'impuissance apprise à l'être humain, mais il faut tenir compte chez lui de mécanismes comparables qui conduisent à l’adaptation de ses stratégies d'emprise sur l'environnement et de ses capacités de gérer ou non les situations stressantes (coping).

LA QUESTION DE L’ÉMOUSSEMENT AFFECTIF

31La nécessité de bien individualiser la démotivation est grande dans l’accompagnement de la maladie d’Alzheimer, d’autant qu’un des troubles du comportement les plus graves tient dans le développement à bas bruit d’une apathie, qui associe selon Marin (Marin, 1995) une démotivation et un émoussement affectif. On peut émettre l’hypothèse que le déplaisir répétitif de n’être pas entendu accompagne une insécurité affective du malade dément et ce d’autant plus que le corps médical oublie de le protéger de l’imprévisible. Ainsi Monsieur C., souffrant de maladie d’Alzheimer, et qui vient de sortir récemment de l’hôpital. Son épouse, qui vient d’avoir un malaise, est amenée à voir son mari, qui l’a suivie, attendre sur une chaise dans le couloir du service des urgences, le temps qu’elle soit examinée. Peu après, devant elle-même être hospitalisée, son mari est gentiment « cueilli » pour être transféré en psychiatrie, sans qu’il lui soit expliqué ce qui l’attend, ni même permis de dire au revoir à son épouse, qui s’en inquiétera. Peu après, une phase confuso-dépressive et une démotivation suivront cette réentrée, peu prévisible pour le malade, et non préparée.

32Si l’on fait assez souvent attention de répondre aux besoins de base de la personne démente, en revanche le manque de respect de sa vie émotionnelle et la possible psycholyse (Le Gouès, 1987) qui accompagne la maladie démentielle peuvent contribuer à l’évolution vers un émoussement affectif d’autant plus facilement qu’un travail de maintenance de la personnalité n’aura pas été mis en place. Le but étant plus de promouvoir une démence riche, civile qu’une démence pauvre, où le vide mental devient prévalent. La personnalité n’est pas faite que de constantes telle l’intelligence, puisque aussi bien le tempérament et la structure du moi y contribuent. Des psychothérapies non verbales telle la musicothérapie peuvent heureusement contribuer à ce travail de reconnaissance et de maintenance de la personnalité dans ses occurrences affectives et relationnelles. Dans le cadre plus général des psycho-thérapies, il est riche d’enseignement de revoir cette indifférence affective comme une amputation de la personnalité, qu’il s’agirait de comprendre comme un compromis entre les nécessités de la co-existence et celles de continuer à s’étayer sur l’environnement.

33La démotivation est un problème majeur chez la personne âgée, surtout lorsque la fragilité, la dépression ou la démence apparaissent. Elle complique, voire compromet, la prise en charge des handicaps liés à l’âge. Les stratégies de soin qui cherchent à éviter ou pallier cette amputation de la personnalité sont au cœur de la démarche éthique face au malade Alzheimer. L’exemple le plus humble est aussi le meilleur et le cas de la toilette particulièrement bien mis en lumière par Mme Touchon relativement aux soins infirmiers. Il y est clairement mentionné l’importance pour le patient de continuer à avoir conscience des différentes parties de son corps, et tout est fait pour encourager le patient sans « faire le soin à sa place ». C’est d’ailleurs également le côté psychique de la toilette qui est ici rappelé : «La toilette est un moment intime et privilégié pendant lequel souvent, le patient nous fait partager ses souvenirs». Bref, il s’agit autant d’un soin répondant aux besoins de base, qu’un soin relationnel, incontournable «bouffée narcissique» (Touchon, 2004). En ce sens il s’avère indispensable d’inclure dans l’évaluation neuropsychologique, l’analyse de la conscience de soi du malade (Gil, 2001) afin de bien prendre en considération à qui l’on s’adresse, de telle sorte que la personne soignée touche du doigt qu’elle est quelqu’un pour celui qui la soigne.

 

 

 

Rédigé par hl_66

Publié dans #Réflexion