Du papyrus aux tablettes tactiles, l’apprentissage de l’écriture est-il si différent ?

Publié le 20 Août 2018

 

Les élèves ont-ils toujours appris à écrire de la même manière ?

Voyage à travers 5 000 ans d’histoire de l’écriture avec le professeur Brigitte Dancel.

 

À quand remontent les premières traces d’apprentissage de l’écriture ?

Si l’invention de l’écriture remonte à 5 000 ans en Mésopotamie et en Egypte, les archéologues trouvent plus tardivement des brouillons d’élèves sur des tablettes d’argile, des papyrus, des morceaux de poteries.  Sur certaines tablettes, on observe des lignes horizontales espacées de manière à contraindre l’enfant à écrire de plus en plus petit. Le modèle est écrit par le maître, et l’élève recopie de manière de plus en plus fine pour le contraindre à ne pas prendre trop de place, car pendant très longtemps les supports d’écriture sont rares et coûteux. Sur la tablette, l’élève ne peut pas écrire de très longues phrases.

L’apprentissage de l’écriture a-t-il évolué au cours de l’histoire ?

Dans les pays européens et en particulier en France, il y a eu une grande rupture au XIXème siècle lorsqu’on décide d’apprendre à lire et à écrire en même temps. Depuis l’Antiquité, l’apprentissage de la lecture précédait toujours celui de l’écriture. Faut-il rappeler que jusqu’au Moyen Âge et à l’invention de l’imprimerie, les phrases étaient des blocs où les mots n’étaient pas séparés par des espaces. La lecture était alors vraiment un apprentissage difficile.

La grande rupture en France dans la seconde moitié du XIXème siècle, c’est l’école de Jules Ferry qui décide haut et fort que les élèves apprendront à lire et à écrire en même temps. C’est à la fin de ce siècle qu’entre dans les écoles le cahier à réglure Seyés (grands carreaux) qui aide les élèves à calibrer les majuscules et les minuscules.

Certaines époques ont-elles marqué l’histoire de l’écriture ?

Le moine du Moyen-Âge qui copiait des livres faisait de véritables œuvres d’art.

Les quelques cahiers conservés datant des Temps Modernes (XVIème, XVIIème et XVIIIème siècles) montrent une belle écriture d’un petit nombre élèves déjà avancés en âge qui les conservaient pour des raisons personnelles ou professionnelles. Pour les premiers apprentissages, l’absence de conservation ne permet pas de juger de la qualité de l’écriture mais sans doute devait-elle ressembler aux difficiles essais des élèves confrontés au maniement de la plume d’acier pourtant moins délicat que la plume d’oie.

Jusqu’à la Première Guerre Mondiale, il était interdit d’écrire de la main gauche. Les mutilations de la guerre ont fait qu’il a bien fallu apprendre à des adultes mutilés de la main droite à écrire de la main gauche, et petit à petit cela s’est étendu aux enfants gauchers.

Depuis Jules Ferry, beaucoup de choses ont-elles changé ?

Aujourd’hui, l’apprentissage de l’écriture cursive n’intéresse plus grand monde. Les enfants écrivent dans le cadre global du français car il n’y a plus d’horaire spécifique dédié à l’apprentissage de l’écriture destiné à allier lisibilité et rapidité. L’apprentissage commence certes dès la grande section de maternelle puis au CP/CE1, mais ils n’ont souvent pas beaucoup à écrire vu le nombre de photocopies où il n’y a très souvent qu’un mot à écrire. Autrefois, les parents gardaient les cahiers, du moins ceux des bons élèves ; aujourd’hui, avec toutes ces photocopies, qui les garde encore ?

La tenue du cahier n’est plus vérifiée régulièrement et le stylo bille qui entre en force dans les classes primaires dans les années 1970, permet d’écrire dans n’importe quelle position. Qu’on le tienne comme un pieu ou comme une plume, il écrit !

Quand il y avait la plume d’oie ou la plume d’acier au milieu du XIXème, ce n’était pas un apprentissage évident ! Cela demandait une maîtrise et une motricité fine des doigts et du poignet. Sous l’école de Jules Ferry, la médecine hygiéniste veillait aux colonnes vertébrales des enfants et expliquait comment se tenir devant le pupitre et bien tenir le porte- plume, mais cela a aujourd’hui disparu.

Aujourd’hui, derrière le “lire écrire compter”, le ministère attend d’un élève à la fin du cycle primaire, une écriture manuscrite lisible et rapide afin de pouvoir affronter le collège ; encore faut-il que les adultes y veillent. Quand je suis entrée à l’école normale d’Amiens en 1984, j’ai constaté que la maîtrise de l’écriture au tableau par exemple laissait à désirer chez un certain nombre de stagiaires rendant difficile la communication entre élèves et enseignant(e)s. Plus tard à l’université, j’ai remarqué que certains étudiant(e)s écorchaient certaines lettres délicates à différencier (N et M par exemple), au prétexte que c’était leur manière propre d’écrire avec le risque d’une communication brouillée de leur pensée sur la copie d’examen. Les ESPE dispensent-elles une réflexion sur ce sujet ? À moins que le clavier de l’ordinateur n’occupe élèves et enseignant(e)s…

A-t-on toujours appris à écrire au même âge ?

Oui, la tradition veut que 7 ans soit l’âge de la sagesse et le moment où l’enfant peut apprendre à écrire à condition qu’il soit initié d’abord à la lecture. Mais là encore, pendant des siècles, cela concernait très peu d’enfants. Dans les familles privilégiées, l’apprentissage pouvait même commencer plus tôt. Des récits de vie du XVIIème siècle racontent que des pères de familles apprenaient très tôt la lecture et l’écriture à leurs enfants qui devaient en faire autant pour leurs futurs enfants.

Certains disent que les fondamentaux sont négligés à l’école, pensez-vous que ce soit le cas de l’écriture ?

Je ne sais pas si l’apprentissage d’une écriture manuscrite lisible et rapide est partout négligé, mais on ne s’y intéresse plus vraiment. Ségolène Royal avait lancé en 1999 un concours de typographie manuscrite scolaire. Qui se soucie du résultat de ce concours publié par le ministère en 2002 ?

On entend parfois que cela ne sert plus à rien avec les iPads et smartphones…

Dans les amphis, presque tous les étudiants tapent sur leur clavier leurs notes de cours. Est-ce plus efficace, plus rapide qu’une prise de notes manuscrite ?

Faut-il se passer de l’écriture manuscrite ou suivre la tendance américaine qui est de dire que l’écriture cursive liée est totalement inutile et qu’il suffit d’écrire en bâton comme à la maternelle, puisqu’à côté les enfants écrivent sur ordinateur ? Un certain nombre d’états américains en sont arrivés à se contenter de ce type d’écriture. Certes des associations de défense du crayon essayent de lutter contre cela, mais comme tout vient d’Amérique avec quelques années de retard, la même question risque de se poser tôt ou tard en France.

Un art de l’écriture a-t-il disparu ?

Il ne faut pas confondre calligraphie et écriture cursive, rapide et lisible, qui favorise la communication à autrui. Nous sommes dans une époque où l’on ne pense qu’à communiquer et nous ne nous inquiétons pas de voir des enfants écrire avec parfois une certaine difficulté.

La calligraphie c’est autre chose. Il est vrai qu’aux XVIIème et XVIIIème et encore au XIXème la calligraphie ou la belle écriture ouvrait à toute sorte de métiers. C’est entre les deux guerres que le ministère, en particulier avec Jean Zay en 1936, se contente d’une écriture cursive simple et abandonne les graphies plus complexes au moment où l’absentéisme scolaire est éradiqué.

Ce recul de la calligraphie est-il international ?

L’art d’écrire est devenu dans nos pays occidentaux un hobby. Ce n’est pas le cas par exemple au Japon, où la calligraphie au pinceau s’apprend tout au long de la scolarité jusqu’en terminale, car elle est chargée de culture, ce n’est pas un simple outil de communication.

Ce qui marche bien dans plusieurs écoles en France, ce sont des séances avec un calligraphe, qui montre aux enfants comment écrire avec des plumes, et permet de comprendre qu’il fallait une vraie technique pour écrire.

Durant l’Antiquité, les enfants apprenaient à écrire sur des tablettes. 5 000 ans plus tard, nous réutilisons le même mot, comme un retour en arrière ?

Oui, en quelque sorte. C’est la même histoire pour le livre, né dans le monde romain au 1er siècle ap. J.-C. sous le nom de codex qui, peu à peu remplace un rouleau de papyrus (volumen) qu’il faut, pour le lire, dérouler d’une main et enrouler de l’autre (explicare) et qui rappelle la technique de l’écriture sur ordinateur : plus on écrit, plus on se perd avec ensuite le besoin d’aller plus haut dans le texte pour retrouver son écrit…

 

 

Brigitte Dancel, agrégée d’histoire et docteur en sciences de l’éducation, maître de conférences à l’Université de Rouen, est l’auteur de l’article Apprendre à écrire, quelle histoire !, Carrefours de l’éducation, 2011.

 

Rédigé par hl_66

Publié dans #Réflexion

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